Château de Pesmes
Un château mutilé
Au-dessus de la rivière, la haute demeure des Choiseul-La Baume fut rasée sous la Révolution. Depuis lors, c’est le « château absent », dont il ne subsiste pas même une image… Mais autour de ce vide, les remparts de la ville restent agrémentés d’un ensemble de bâtiments évocateurs. Des expositions animent leurs salles voûtées. La réhabilitation créative de l’école par l’architecte B. Quirot a été saluée par la Fondation du patrimoine. Depuis la terrasse, la vue s’évade vers la campagne, les premières forêts du Jura et, le soir par temps clair, jusqu’au Mont-Blanc tout rose de neige.
Du côté du bourg, derrière son portail, ce morceau de château ressemble à une grosse demeure de notable ; du côté de la rivière, en revanche, son à-pic au-dessus du pont et ses puissants volumes intriguent toujours au premier coup d’œil les voyageurs arrivant par la route du sud.
Une fois acquis par Louis XIV le rattachement de la Franche-Comté à la France (1674), notre bâtisse allait être construite en aile d’une vaste résidence d’agrément, d’un style resté toutefois sobre et militaire. Auparavant, l’histoire de ce site du château se confond avec celle du bourg castral de Pesmes, dont elle était le haut réduit cuirassé, flanqué d’un donjon.
A l’époque gallo-romaine, les habitations sont dispersées alentour, près des rives du cours d’eau et des routes, en contrebas. Mille ans plus tard, un affleurement rocheux ayant été choisi par les premiers féodaux comme propice aux nécessités de la fortification, le village (re)naît de ce choix, semble-t-il au 11ème siècle, mais sans doute bien avant.
Quoique pesmes, en vieux-français, signifie « très mauvais » ou « farouche », l’origine de cette toponymie sans autre exemple est incertaine. Guillaume de Pesmes baptise ainsi le lieu (ou l’inverse?) dès avant 1122. Un de ses successeurs au château est étouffé entre deux oreillers de plume, preuve que ces seigneurs savent, même dans un lit, mourir par violence. Leur fief compte une douzaine de villages.
Après les Pesmes, les sires de Grandson (maîtres d’un château-fort conservé encore intact au bord du lac de Neufchâtel, sans doute analogue à ce que fut le nôtre) sont de riches seigneurs ; mais la commune obtient des franchises, et par là, déjà, se sépare du château.
A partir du 14ème siècle, plusieurs fois assiégée, remaniée, brûlée, reconstruite, reprise, proie de disputes locales mais aussi territoriales impliquant les maisons de Bourgogne, de France, d’Autriche et d’Espagne, la résidence-forteresse de Pesmes, et surtout la bourgade qui la cerne comme un rempart supplémentaire, paient un lourd tribut de ravages -moins que l’infortunée ville de Dôle toutefois. Ce sont le plus souvent les troupes françaises qui l’assiègent, la pillent et la démantèlent. De ces fortunes alternées, on a conservé bien sûr des anecdotes, sur les séjours respectifs de Louis XI, d’Henri IV, de Louis XIV, en promenade guerrière, tous satisfaits du « bel air » de Pesmes ; mais il a été récemment mis à jour, non loin d’une citerne déjà mentionnée dans le plan des fortifications à l’époque de Turenne, des vestiges plus parlants : une cheminée murée bien plus ancienne, une meurtrière avec son banc de guet en pierre, une latrine dans un contrefort en saillie, et, pêle-mêle dans les gravas nivelés d’un incendie, un boulet de canon, une pièce d’argent genevoise de 1572, une fourchette à deux dents, une épingle à cheveux, un crâne de chat du 16ème siècle… des fragments de vitraux, etc. On notera ici que la jolie vue sur les méandres de l’Ognon et les lointains épaulements de forêt du Jura était à demi indifférente aux châtelains du passé, car au 18ème siècle les fenêtres étaient ici garnies de verres dorés de Bohême.
Il est possible aujourd’hui encore de tenter d’imaginer, en haut du village de Pesmes, le bel ensemble, avec grille d’honneur, conciergerie, allée de tilleuls, salle de spectacles, écuries, terrasses jardinées, grand escalier vers la rivière, chapelle, lambris et collections amassées, que les marquis de La Baume-Montrevel avaient porté au plus haut agrément au milieu du 18ème siècle. Cependant, par un mauvais sort très singulier, on ne connaît pas une seule représentation du château qui soit antérieure à sa destruction partielle. Passée aux Choiseul-Stainville, qui ne venaient y résider qu’aux vendanges, quinze jours par an, cette vaste demeure alliant confort, éclat patricien et raison, mais devenue comme une enclave dans le village, encore dotée de fortes rentes féodales (moulin, four à briques, etc.), objet d’un ressentiment latent, était à la veille d’être irrémédiablement mutilée. Le fief fut malencontreusement érigé en duché-pairie en faveur du neveu adoptif de l’ancien brillant ministre de Louis XV mort criblé de dettes en 1785. Pesmes faillit devoir s’appeler Choiseul : ce fut un tollé. C’était en 1787 : sept ans plus tard, on bradait jusqu’aux cheminées, trumeaux, portes et parquets versailles du « grand pavillon ». Celui-ci fut ensuite monnayé pierre à pierre, sous le Directoire, par un négociant en matériaux, jusqu’à ce qu’un arrêté départemental lui interdît d’en poursuivre la démolition.
Bâtiments et terrain furent morcelés : la conciergerie, siège actuel de la Communauté de communes du Val de Pesmes, a été un hôtel à l’enseigne de l’«Aigle d’Or» (le petit lieutenant Bonaparte, en garnison à Auxonne, ayant passé quelques dimanches à Pesmes) ; le petit théâtre fut annexé à l’école, les écuries devenues gendarmerie puis maison communale et associative. Le beau cadre de scène du théâtre, en bois doré à décor de tiges, de boutons de fleurs et de cols d’oiseaux, a été transplanté dans une pièce du château restant, où le salon aux boiseries simples était jadis l’antichambre de la chapelle.
Ce « château » actuel, peu remanié et plutôt appauvri au 19ème siècle, est donc l’aile de l’ancien grand pavillon qui a succombé aux enchères et à la pioche révolutionnaires. La bâtisse enrochée est, dans ses tréfonds, ce qu’elle fut depuis l’an mil, au coeur de la place souvent disputée de Pesmes : un petit fort escarpé, contrôlant le passage de l’Ognon, et resté aujourd’hui encore un peu étrange, par son histoire somme toute mal connue, son aspect tronçonné, ruiniforme, à la fois massif et avenant.
Après avoir été pendant plus d’un siècle la demeure de notables, la maison était, en 1950, à vendre, noyée dans les arbres et presque à l’abandon. Un descendant de plusieurs familles pesmoises alliées (Mayrot, d’Andelot, Aubert de Résie) put l’acquérir pour s’y ménager une simple maison de vacances, avec chambres à tommettes et badigeon pour familles nombreuses, cousinades et groupes d’amis de cet après-guerre si optimiste et sans façons.
La grande salle voûtée
Dégagée et réouverte en 1966, cette salle de pierre à la Vauban, avec ses piliers trapus et élancés, tenait lieu de vide sanitaire ou de soutènement aux salons dorés du château central, désormais absent. La salle paraît d’un assez respectable travail au regard de cette destination initiale -à moins de supposer qu’elle ait antérieurement servi de magasin d’armes ou de salle à soldats. Le rocher affleure à ses extrémités. Les démolisseurs du grand pavillon, vers 1796, s’en étaient servis pour déverser des tonnes de gravas. Les voûtes n’ont subi, en guise de restauration, qu’un coup de brosse il y a 50 ans. Les deux piliers supportent le poids de 200 m³ de terre de la terrasse supérieure ; ainsi naturellement « géothermique », la pièce de 180 m² conserve sans chauffage une température douce jusqu’au mois de décembre. Le dallage polychrome central, en pierre de la région (pierre rouge de Sampans notamment), date du 17ème siècle.Au fil des années, les voûtes de cette salle ont accueilli une variété de concerts pour un public amateur : pièces de clavecin, de Bach à Ligeti, guitare de Villa-Lobos, quatuors de Beethoven et Schubert, Quintette avec clarinette op. 115 de Brahms, Introduction et allegro pour harpe de Ravel, etc. Elle a également abrité des expositions de toutes sortes, d’outils anciens de la collection Jean Degoutin, de tapisseries contemporaines, de sculptures de Morice Lipsi, la plus mémorable étant sans doute celle de grandes toiles de Paul Rebeyrolle, en 1989, grâce au Fonds régional d’art contemporain.
Infos pratiques
- Château de Pesmes
Esplanade du château
70140 Pesmes
- +33 (0)6 84 19 52 21
- 47°16'43.0"N 5°33'45.0"E
- Visite guidée sur demande de juillet à septembre
salle voûtée et terrasse du château